Transcription complète de mot d’ouverture de Nathalie Maillé lors du Grand atelier printanier du Culture en action, organisé par Compétence culture.
Kwe, bonjour tout le monde !
Je suis très heureuse de vous retrouver ce matin.
J’aimerais d’abord remercier Compétence culture et sa présidente, Christine Bouchard, ainsi que sa directrice générale, Pascale Landry, qui nous convient aujourd’hui à ce rendez-vous important grâce à l’appui de leur équipe et de partenaires essentiels comme la Commission des partenaires du marché du travail et Services Québec.
Avec les deux années qu’on vient de vivre, on sait que les défis sont nombreux et complexes. Je pense qu’on souhaite plus que jamais se mettre en action, allier nos forces et avancer ensemble.
Merci à vous, professionnel·le·s du milieu des arts, artistes et gestionnaires culturel, que vous soyez en ligne ou ici pour participer activement à ce grand atelier.
À l’heure de la reconstruction, je suis certaine que votre agenda est bien rempli. C’est admirable de prendre le temps de se concerter et de planifier la suite. Je suis convaincue qu’on en ressortira avec plus de clarté et un dynamisme renouvelé.
Au Conseil des arts de Montréal, notre mandat est de repérer le potentiel, d’accompagner le talent, de soutenir la création et de reconnaître l’audace de plus de 700 organismes et collectifs qui représentent une pluralité de pratiques artistiques.
En plus des programmes réguliers de subventions, le Conseil accompagne les organismes artistiques, organise des stages et des résidences, reconnaît la contribution des artistes et des organismes à travers différents prix, stimule la diffusion sur l’île de Montréal et outille le milieu avec des guides ou de la formation à propos d’enjeux actuels, tout ça dans une approche inclusive et écoresponsable.
Mener de front les chantiers d’importance et soutenir les organismes artistiques dans leur reconstruction représente un vrai défi. C’est aussi une mission emballante tellement la richesse du milieu des arts se manifeste de mille et une façons !
Le Conseil pose des gestes qui dépassent largement les limites de sa mission, sensible à la situation des artistes et des travailleuses et travailleurs culturel qui ont tout donné ces dernières années. On est donc bien placé·e·s pour observer à quel point, contre vents et marées, le secteur culturel a fait œuvre utile.
Vous avez fait preuve d’une capacité d’adaptation exceptionnelle et d’une grande patience.
Vous êtes allé·e·s à la rencontre du public sur les balcons, dans les ruelles, au téléphone, dans les jardins. Jusqu’aux personnes les plus isolées, des tout-petits aux aîné·e·s, vous nous avez offert un baume et nourri notre goût de vivre pleinement.
Vous vous êtes approprié le numérique à travers de nouvelles plateformes et vous avez jonglé, re-jonglé, re-re-jonglé avec des jauges à géométrie variable. La rencontre de l’autre dans les lieux culturels nous a beaucoup manquée. Le milieu des arts de la scène a entre autres retenu son souffle très longtemps! Un triste exploit à inscrire au livre des records ! La fermeture complète des salles = 176 jours. Quand l’appel d’air est arrivé, nous l’avons enfin pris avec vous et le public aussi.
Même à l’heure de la relance, les enjeux se multiplient. Et il ne faut pas se le cacher, nous sommes épuisé·e·s.
La pandémie aura eu cet effet que nombre d’organismes ont perdu de précieux éléments. Des employé·e·s ont choisi de prendre leur retraite plus tôt. Ou bien les pigistes qui, devant le peu de prévisibilité d’un contrat sans cesse repoussé, se sont réorienté·e·s ou n’ont plus de disponibilités à offrir.
À titre d’exemple, vous n’êtes pas sans savoir que les salles québécoises manquent cruellement de techniciennes et techniciens et que le calendrier des spectacles en est même bousculé.
Que ce soit à Trois-Rivières, comme on l’a lu cette semaine, ou dans plusieurs salles ici à Montréal, l’annulation de spectacles, faute d’équipes pour les accueillir, est une probabilité bien tangible dont nous craignons les impacts, autant pour le public que les artistes.
Je vous avoue que nous aussi, au Conseil, nous croisons les doigts pour que les 421 représentations des 76 projets artistiques soutenus dans le cadre de la relance du CAM en tournée puissent briller de pleins feux à compter du 1er juillet dans les Maisons de la culture de Montréal et les lieux de diffusion partout sur l’île.
Mais le réflexe de protéger la santé physique et psychologique de ses équipes sera toujours le bon.
Le changement du mode de travail ainsi que les perspectives chamboulées des artistes et des organismes ont eu un effet notoire du côté des subventions.
Au Conseil des arts de Montréal, face à des besoins déjà grands, 2020 et 2021 ont été des années records en termes de nombre de demandes. La créativité ne s’est jamais estompée. Grâce à des remaniements budgétaires, nous avons pu soutenir davantage d’organismes artistiques, dont des centaines qui faisaient appel à nous pour la première fois.
L’élan de création est donc toujours aussi fort. On constate d’ailleurs un effet de congestion dans certaines programmations, ce qui affecte particulièrement la relève et les artistes issu·e·s de la diversité.
Les défis vécus par notre secteur s’inscrivent aussi dans un contexte économique incertain qui vient les amplifier.
Plusieurs enjeux impossibles à prévoir se sont imposés dans nos vies. La guerre…. L’inflation…
Un sondage Global News publié dans Les Affaires indiquait qu’un taux d’inflation de 7 % aura des répercussions sur les habitudes des consommateurs et des consommatrices : 46% limiteront les divertissements.
À Montréal et ailleurs au Québec, le coût de la vie de plus en plus exorbitant conjugué au marché immobilier en feu et à la crise du logement accentue la précarité des conditions socio-économiques des artistes et des salarié·e·s du milieu culturel.
Alors, oui, la pénurie de main-d’œuvre s’invite à la fête en pleine relance du secteur. L’ébullition artistique partout au Québec n’échappe pas au grand défi de l’attraction et de la rétention de son personnel.
Le secteur, qui fait face à un sous-financement, a longtemps survécu grâce à la passion et à l’engagement sans borne de ses équipes.
Aujourd’hui, une partie de la main-d’œuvre qualifiée pour certains postes à pourvoir préfère se tourner vers d’autres milieux qui leur garantissent de la stabilité et de meilleures conditions. La concurrence fait en sorte qu’on doive compter plusieurs mois afin de combler des postes, à tous les niveaux des organisations, des directions en passant par les équipes techniques ou de soutien. Partout, les babillards d’offres d’emplois ne désemplissent pas. On embauche, on embauche, on embauche.
L’arrivée de jeunes travailleuses et travailleurs qui commencent dans le métier permet de poser un regard neuf, parfois critique, sur nos façons de travailler.
L’harmonisation entre la vie personnelle et professionnelle, le télétravail ou le mode hybride, ainsi que les nouveaux modes de gestion préoccupent les nouvelles générations. Et même certaines générations moins nouvelles, qui y prennent goût elles aussi, avouons-le !
Bref, écoutons-les. Faisons preuve d’introspection. Remettons en questions nos manières de faire. Et tentons de ne pas voir leurs demandes salariales, (parfois, disons assez audacieuses !), comme de l’arrogance ou de l’incompréhension, mais comme une occasion de nous améliorer collectivement.
Face aux nombreux départs à la retraite, déjà amorcés et à venir (qui seront encore plus nombreux au cours des prochaines années), il y a une transmission et un transfert de connaissances qui se perdent inévitablement, fragilisant encore plus les organisations.
Et je trouve important de vous en faire part : le Conseil des arts de Montréal en ressent lui aussi les impacts. Comme vous, le CAM a connu des changements de personnel, dont plusieurs départs à la retraite et des départs d’employé·e·s qui, après plusieurs années d’implication en culture, ont choisi de contribuer à d’autres secteurs d’activités.
Comme toujours, on a cherché à s’ajuster avec le plus d’agilité possible. On a saisi la balle au bond, consolidé nos ressources humaines, embauché une conseillère RH, cultivé un environnement de travail invitant et adopté un mode de gestion collaborative, qu’on a nommé le Jardin collectif. On arrose nos relations régulièrement et on arrache la mauvaise herbe au fur et à mesure !
On a aussi repensé l’organisation du travail à l’interne et intégré de nouvelles approches pour améliorer la culture organisationnelle. Nous savons que c’est ce genre de défis auxquels vous êtes confrontés, alors que vos organismes sont déjà en pleine reconstruction sur plusieurs fronts à cause de la pandémie.
Avec les autres organismes de soutien aux artistes, le Conseil entend participer à la consolidation et à la stabilisation des organismes artistiques, autant des piliers culturels dits historiques que les clientèles plus nouvelles accueillies dans nos programmes, souvent associés à des groupes minoritaires: artistes autochtones, issus de la diversité, en situation de handicap, la relève.
Même si le secteur culturel, avec toute sa force et sa fougue, transforme ses modèles d’affaires, se concerte, mutualise ses ressources et même s’il est appuyé par des outils comme les conseils des arts, nous devons aller plus loin collectivement.
En 2021, le Conseil a commandé un sondage à la firme Léger auprès de la population montréalaise. Les résultats sont sans équivoque : le public est avec vous. Et il a besoin de vous.
90 % estiment que les artistes professionnel·le·s ajoutent de la valeur à la société et 81 % que les arts améliorent leur qualité de vie. La majorité de la population sondée souhaite que le financement des arts devienne une responsabilité portée par l’ensemble de la collectivité.
Pour favoriser un milieu culturel en bonne santé, nous devons collectivement opérer des changements en profondeur qui demandent du courage et de l’audace, ce que vous avez.
Certes, il est impératif de revoir et de bonifier le financement pour répondre à la difficulté de rétention de l’expertise dans le secteur culturel. Aucun doute!
Il faudra faire des choix, consolider. Et trouver une adéquation entre les besoins de formation et la valorisation du milieu artistique. Nous qui y œuvrons, nous savons à quel point c’est un milieu de travail qui devient vite un milieu de vie, exigeant certes, mais surtout exaltant où on peut s’épanouir comme personne.
Mais les organismes culturels doivent avoir les moyens de leurs ambitions et pouvoir offrir une évolution de carrière digne de ce nom à une main-d’œuvre qui choisit de s’engager dans la culture.
Les conditions de travail et de pratique prennent racines dans la manière dont on perçoit, valorise et donc rémunère le travail culturel et artistique en tant que société. Les différents paliers de gouvernement ont envoyé des signaux pendant la pandémie et nous continuons à les sensibiliser, avec vous, à propos des enjeux structurels.
Au CAM, on reste mobilisés pour toute la question du filet social, notamment pour le revenu minimum garanti et l’accessibilité de l’assurance-emploi. Ce sont des sujets qui doivent concerner tout le monde.
Avec les autres principaux conseils des arts municipaux du Canada, ceux de Toronto, Calgary et Edmonton, nous avons fait circuler une lettre ouverte pour que les artistes bénéficient d’un revenu de base garanti.
La pandémie a souligné l’évidence : le modèle actuel maintient une grande partie du milieu artistique dans la précarité. Visiblement, la solution existe depuis un bon moment et elle attend d’être concrétisée. Un revenu de base garanti permettrait de stabiliser la situation du milieu artistique et d’offrir un juste retour pour sa contribution. C’est une façon concrète d’agir face à la pénurie de main-d’œuvre.
Une autre idée pour fortifier les lignes de revenus : la philanthropie, qui représente une formidable opportunité qui rallie toutes les communautés.
Quelques faits :
- En 2021, 55% des Québécois·e·s ont donné à différentes causes.
- La culture est en 13e et dernière position des secteurs soutenus.
- Un·e québécois·e sur trois n’a jamais été sollicité·e par le secteur culturel.
- Et à notre fameux sondage dont je vous parlais tantôt, 77% des citoyen·ne·s affirmaient avoir l’intention de participer personnellement au financement.
Dans la foulée d’une étude publiée en 2020 en partenariat avec HEC Montréal, le Conseil continue de favoriser le développement d’une culture philanthropique de proximité. Parce que plus que jamais, la philanthropie demeure une voie d’avenir pour le soutien aux arts.
Les différents secteurs économiques sont directement liés aux fruits de la vitalité culturelle. Le milieu des affaires a autant besoin de la culture que l’inverse.
Bien sûr, la philanthropie représente de nouveaux réflexes à développer. La saison des idées est vraiment ouverte! Le Conseil, endossant un rôle de catalyseur de réseaux, fera certainement naître de nouvelles discussions et narrations entre les milieux d’affaires, les mécènes, les fondations et les artistes. Il faut être prêt à signer un nouveau pacte de solidarité.
Nous devrons demeurer alertes et nous élever collectivement, nous éveiller, nous conscientiser à la réalité de l’autre. L’importance qu’on accorde aujourd’hui à la contribution des artistes nous dépasse largement. Nous portons solidairement la responsabilité de pérenniser la place de la culture. Avec toute l’empathie et l’imagination dont nous disposons, nous pouvons créer le tissu social et culturel de demain.
Je suis certaine que vous ferez une différence dans les prochains jours avec votre connaissance du terrain et en mettant votre créativité au service de la cause commune.
Avec les deux années que vous venez de passer, je vous comprendrais de vouloir refermer bien vite le livre et ciao, fin de l’histoire! Mais si vous êtes comme moi, vous avez peut-être aussi l’impression d’ouvrir un nouveau chapitre, avec tout ce qu’il contient de nouvelles trames narratives, de dialogues à inventer, d’intrigues toujours aussi captivantes, mais certainement moins éprouvantes… qu’en dites-vous?
Dans tous les cas, au Conseil, nous avons hâte de connaître l’état des lieux que vous dresserez au cours des deux prochains jours.
Soyez assurés que nous continuerons de vous épauler, à l’écoute de vos besoins, de vos idées, fiers de soutenir votre contribution essentielle à un monde où il fait bon vivre, dans une société chaque jour enrichie par l’art.
Je vous souhaite de fructueux échanges dans ce Grand atelier et merci de prendre part à l’action !
Et à celles et ceux qui prendront bientôt quelques semaines de vacances, je vous les souhaite ressourçantes, dépaysantes et énergisantes.
Prenez soin de vous.
Prenons soin de nous.
Merci.